Rouge.
Elle portait sa robe rouge. Celle
qui lui allait si bien. Une mèche de ses cheveux roux dissimulait ses
yeux noircis de poudre. Le sourire était désormais absent, lointain. Elle était
perdue. Adossée au mur, assise, l'esprit dans le vague, entourée de la mare toute froissée et proprement sanglante, sous le poids de
son présent.
Et puis les souvenirs revinrent dans sa tête enfumée de trop de tabac cosmopolite. Les instants projetés sur l'écran noir de sa mémoire.
Elle eut 6 ans. Ces
boucles malicieuses qui illuminent le sourire d'un enfant, les petites
bottes noires pailletées qui font la fierté des fillettes. Les dents manquantes et les cadeaux matinaux sous le sapin brillant. La
balançoire, les parents heureux à la seule vue de leur puce, projetée
dans les airs, qui rit à en atteindre les nuages.
Le ciel bleu et puis...
Elle eut 16 ans. Les
pulls à col roulé pendant les hivers capricieux. Les cours de
mathématiques qui n'en finissent plus, et la littérature qui passionne, pour juste savoir lire entre les lignes. Les premiers émois, le nez dans
les écharpes, la rosée, cette pluie d'étincelles, les mains qui se
serrent à la lueur du jour. Les sourires gênés qui se croisent dans
l'innocence de la jeunesse. Se sentir voler par le passage du garçon, cet ange aux
mêches rebelles.
L'étincelle et puis...
Elle eut 20 ans. Avoir
ce dont on rêvait:l'Amour et l'Ambition. Vagabonder entre Jacques le
fataliste et Jean l'amoureux. Courir dans les ruelles de pavés mouillés,
ceux de sa nouvelle vie étudiante, avec l'homme tant aimé. La besace et
le sourire grandissant en étendard. Devenir, Grandir, Voir. Les premières
expériences d'une vie si peu tranquille. Loyers, Soirées, Lessives et
Pâtes. Des responsabilités encore trop lègères comparées à cet amour qui
transporte vers les étoiles.
La lumière et puis...
Le noir. Le
vide. Avoir 30 ans et demeurer désesperemment seule. Elle est seule
contre ce mur de béton, dur et insensible. Elle voudrait des bras, des
mots qui vous serrent et vous font valser. Valser d'un rouge Amour, d'un
rouge Passion. Le rouge identique à celui de sa robe. Rouge Colère, Rouge
Honte. Honte d'avoir tant cherché, tant espéré.
Et puis Elle part, se lève au son de sa folie.
Elle,
qui soudain danse au milieu des rues, au vent d'une nuit frivolement
fraîche. Elle court, rit, pleure, s'envole. Elle, joyeusement perdue dans
les tréfonds de sa solitude. Elle valse au détour des rues. Elle fait
voler sa belle robe rouge, et ses cheveux dans la brise hivernale.
Elle
n'existe plus. Valse avec l'éternité. Plongée dans l'eau qui la serre,
qui l'envole, qui la laisse sourire à son amant l'océan. Elle s'est
jetée dans ses bras corps et âme. Elle voulait oublier. Juste s'oublier
dans ses mots. Portée par les ondes du chant suave de l'amour, de la mer. Ces mots, qui glissent et soufflent à son oreille.
Ces mots d'amour qui valsent avec la mort.
[Du déja-vu.]
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